1. Sortir avec Maëva

    L’autre jour Maëva avait un problème sur son PC. Après un diagnostique rapide j’escomptais qu’il s’agissait d’un simple problème de pilotes et lançais la mise à jour automatique via l’utilitaire dédié des PC Dell : SupportAssist. La mise à jour tourne en fond de tâche. J’invite Maëva à reprendre ses activités mais de prévoir un redémarrage du poste une fois les mises à jours terminées afin qu’elles s’appliquent correctement. Elle cliquait déjà un peu partout sur son écran tandis que je lui expliquais tout ça. Et malgré la fin de mon propos elle demeure dans une situation quelque peu inconfortable, assise sur une simple chaise penché en avant sur la table où elle a posé son PC, à proximité de moi. Elle reste là un moment : à vrai dire tout le long de l’application des mises à jour. Une bonne dizaine de minutes. Tout fini et rentre dans l’ordre. Elle repart.

    Plus tard, on se recroise et nous échangeons personnellement. Elle me raconte qu’elle a rompu avec son mec il y a quelques temps ; une relation sérieuse et de longue durée. Elle ne se sent pas de rester seule longtemps en attendant son "prochain grand amour" car elle a un fort besoin affectif. Elle est tout à fait prête à avoir une relation stable et exclusive, de façon temporaire en attendant cet homme ; une "relation transistoire" entre un grand échec amoureux et le prochain grand espoir. Pas besoin que tout colle puisque ce n’est pas durable ad vitam. Elle pense qu’une telle relation ne dépassera pas 2 ans. Mais.. mais… elle est en train de parler de sortir avec moi !

    Je suis tellement surpris que je demeure muet un moment. J’avais tenté ma chance avec Maëva 3 ans auparavant, en glissant un mot d’invitation à déjeuner entre l’écran et le clavier de son PC portable lors d’une intervention. La réponse avait été négative, très simplement. C’était pas crédible. Je ressemble trop à geek boutonneux et c’est une fille bien trop remarquable par sa personnalité extravertie, son physique, une éducation et des centres d’intérêts qui me sont étrangers. Tout un tas de considérations que je finis par écarter car "ce n’est pas à vous de conclure a priori qu’une relation est sans avenir." disait ma psy il y a plus de 10 ans ; la conclusion s’établira sur l’expérience réelle. Et puis n’est-ce pas que ça : une expérience ? Elle souhaite une relation temporaire. Même si je souhaite également le "grand amour" je pars de rien. Pourquoi me détourner de la possibilité d’accumuler de l’expérience avec une fille qui me plait autant ?

    Nous sortons ensemble.

    Après un premier date en tête à tête, la voilà chez moi pour un nouveau rendez-vous. Je l’ai invité à déjeuner. C’est un beau samedi midi et j’ai préparé de mes petites mains le déjeuner. Le repas touche à son terme. Je débarrasse. Et au moment de passer à autre chose Maëva commence à mettre des mots sur notre relation,mmi-inquiète, mi-critique. Elle me trouve bizarre. Je me conduis bizarrement ; en tout cas pas comme un petit ami. Elle me repproche ma distance, mon manque de proximité, l’absence de geste. Elle me dit que n’importe quel de ces anciens copains l’auraient déjà embrassé. Il y a de quoi se sentir morveux et j’hésite à prendre l’initiative de l’embrasser sur la bouche ; j’ai peur ; ça paraitrait totalement calculée et mécanique. J’y renonce au profit d’une attitude que je considère plus "safe" : celle de l’honnêteté. Je lui avoue que je n’ai jamais embrassé, que je ne sais pas le faire du tout, que ça ne s’est jamais présenté et que je ne savais pas quels moments pouvaient être opportuns. Mais que ce n’était pas un indifférence vis à vis d’elle.

    Il fallait bien que cette vérité soit prononcée un jour après un premier rendez-vous. J’avais tant attendu cette occasion. Ce pas supplémentaire. J’avais conscience que l’annonce de ma situation sonnerait comme une révélation. Les filles ne sont pas les garçons : si il est à redouter l’humiliation et la moquerie chez les seconds par les idées de performance et de compétitions à la noix, les filles n’ont pas ce type de rapport et se montreraient plus compréhensive vis-à-vis de ce genre d’inexpérience. Mais pas Maëva. Après avoir émis son reproche sur un ton calme et cordial, c’est un désaccord totale qui sort d’elle et l’a met en colère. Elle ne s’imaginait pas devoir assumer ce type de relation. Elle voulait juste quelqu’un pour passer le temps. Mais il est hors de question qu’elle fasse son éducation sentimentale et sexuelle à un retardataire de mon acabit. Tout tombe en plan et se brise. Elle prend ses affaires et quitte mon studio.


  2. Traqueuse obsesionnelle

    J’ai toujours la même pensée quand je sors de ma voiture à 6h moins 10, je pense à cette traqueuse obsessionnelle à l’obession contagieuse. J’en suis sa proie et elle me le rappelle précisément à ce moment là tous les matins. C’est comme un piège ; c’est un lieu qu’elle semble s’être approprié. Elle ne cherche pourtant pas à m’attaquer. C’est plutôt un jeu ; un jeu sadique. Je l’a vois m’observer tout autour de moi alors que je me déplace entre les immeubles. Tout est silencieux. Tout est froid. Tout est pénombre. Le bitume, le béton, les néons, l’activité humaine s’est exprimée partout ; elle témoigne du mouvement expansionniste de la vie, de notre vie. Pourtant c’est cette traqueuse qui occupe les lieux. Bien qu’étrangère à notre monde, elle s’incarne remarquablement bien dans nos conceptions.

    Elle est habile. Son guidage se fait sans pression, sans sensation consciente, sans se faire remarquer. Une pierre qui roulerait sur une pente penserait qu’elle avance par elle-même sans même comprendre qu’elle a été le jouet d’un mouvement qui la précède, qu’il soit géologique, animal, ou un acte humain. Les chasseurs font de même avec les animaux et les guident dans leur piège en jouant des règles instinctives de ces pauvres bêtes qui se pensent toutes aussi libres que nous. Inconsciemment, ignorant que c’est cette traqueuse qui décide pour moi, je me laisse entrainer aussi impuissamment qu’un animal dans son piège, un piège sadique. Bien qu’elle ne souhaite pas encore me faucher, elle joue de mes sentiments et me rappelle sa présence dans ce parking ; elle accompagne mon mouvement, mon déplacement en faisant le tour des immeubles ; et dans un entre deux, le ciel apparaît dans toute sa hauteur ; c’est alors qu’elle contraint mon regard à se fixer sur mon destin en voyant le ciel : noir, inexistant. Je voyais encore les étoiles il y a une heure en sortant de chez moi. Ont-elles déjà fini leur cycle de dilatation-combustion pour s’éteindre dans l’univers froid et infini ? La réalité importe peu, c’est la vérité qui me fait face au-delà des temps. Mais je suis pareil à elles. Je m’éteindrais dans le néant.

    D’habitude la lumière fait disparaître ces angoisses vertigineuses. Mais ce lieu est possédé par le pouvoir de la traqueuse. À chaque fois que je traverse ce parking, le monde s’affadis, les goûts, saveurs, senteurs et joie se nihilisent. Tout aussi insidieusement qu’elle dicte mes pas, elle se permet d’aposer sur mon visage une paire de yeux, parmis les milliers, dit-on, dont l’ange Azrael est pourvus. Elle me dévoile alors volontairement un lieu dépourvus de sens humain. Les murs et le sol sont mis à nus, dur et rugueux, l’air est froid et sans sentiment, la lumière demeure une mécanique dépourvus d’empathie. Tout ça stationnant, attendant sa propre érosion ou sa destruction par une catastrophe naturelle ou cosmique. Une œuvre délaissée qui se meurt tout autant que ces monstres de feu que tous les peuples planétaires ont loué à travers les siècles, conscients du bienfait de la vie qu’ils transmettaient sur nos cailloux flottant, exerçant un mouvement circulaire et révolutionnaire sans fin. Ces monstres – gentils monstres – desquels à l’instant je contemplais l’absence. À qui manqueraient-ils si ce n’est à ceux qui ne sont déjà plus là ? Dans l’échelle de l’évolution, nous constituons une fabuleuse anomalie, notre intelligence mentale et notre capacité de représentation complexe, sans compter les vertus de nos membres – faibles mais agiles – ont transformé l’humain en la bête dominatrice de la planète, exécutant la Nature selon ses propres plans. Nous sommes une anomalie, un incident. Notre singularité a fait de nous des êtres qui déployons nos représentations par des actes et conceptions matériels que nous imprégnons de significations. Nous pouvons remettre en cause beaucoup des actes humains, mais en contemplant le ciel, nous nous rappelons que si nous sommes le fruit d’une conception accidentelle de la nature ayant la capacité de la renverser, il y a eu un incident il y a 13 milliards d’années qui a généré ce fourbis, cette voute et ce qu’il y a ici et dessous. Un fourbis, à qui et pourquoi ? Nous pouvons remettre en cause l’impact de nos agissements sur la nature, mais notre industrie n’a pas de sens pour les animaux qui s’attribuent ou se font une place, un nid, une toile, un terrain de chasse et qui prolifèrent en l’absence humaine au sein même de ce que sa société a batis. Ces constructions n’ont pourtant pas été faites pour ces bêtes, mais elles l’investissent pour y puiser ce qu’elles peuvent à leur mode de vie. Notre rapport à l’univers ne peut être différent à celui des animaux pour nos œuvres. À qui diable est destiné l’univers ? Dans quel but et pour quelle signification ?

    Je passe la porte extérieur, puis la porte du sas avant d’entrer dans la cage d’escalier. Si ce n’est une aération ou une machinerie inconnue, c’est silencieux. Je monte les marches avec une sensation d’oppression, d’étouffement psychologique. Une angoisse grimpe dans ma tête. J’ai déjà vécu ça. En fait je l’ai vécu des dizaines de fois. Il y a quelque chose d’affreux que je n’arrive pas à cerner. Cette cage d’escalier est comme un cercueil, ces murs beiges et sans personnalités emprisonnent les cris d’agonisant-e-s.. Je reviens au plus lointain que ma conscience puisse identifier cette sensation ; déjà à l’école primaire, c’était des jours pluvieux – non d’ailleurs ! Pas simplement pluvieux ! Ce n’était pas une simple pluit. Le vent battait fort, il y avait une averse ; loin des pluits innoncentes, c’était une menace du ciel, des grêlons peut-être. Le ciel s’abattait sur la récré et dans les rues ; pas un sensé n’oserait marcher tranquillement sur les trottoirs dans ces moments là. Je me souviens de la monté dans cette cage d’escalier de l’école primaire, lorsque la récréation était terminée. J’étais habité par cette même inquiétude, cette montée d’angoisse. Nous étions pourtant au milieu de la journée, mais qu’il faisait sombre ! Et tous ces enfants autour de moi, montant en même temps, ils font du bruit, ils poussent un peu. Qu’y avait-il de singulièrement préoccupant ? Ces fois là rien. Je revivais simplement une angoisse comme je le fais aujourd’hui – un traumatisme originel encore antérieur et inconnu – en montant les marches de la cage d’escalier. J’en ressortirai dès le premier étage et après avoir passé mon badge de sécurité dans le couloir je retrouverai des vivants en besogne.

    Il y a toute l’artificialité de cette cage, son aspect pleinement et uniquement fonctionnel, froid. Il y a ce bref moment d’enfermement dans ces murs épais, ces portes lourdes, coupe-feu ; c’est un abri, une sorte de bunker comparé au reste de la structure du batiment. Un refuge pour la fuite ou la sauvegarde. Quand j’étais petit et que je jouais avec mes LEGO, j’avais construit une sorte de miniature, un vaisseau spatiale que mon imagination concevait comme bien plus grand que ce que l’espèce humaine a pu construire comme batiment sur terre. Peut-être en étage n’était-il pas le plus grand, en revanche, ce n’était pas un vaisseau tour et sa surface était gigantesque. C’était la technologie, le moyen de transport, le plus élaboré, le dernier refuge, la dernier vaisseau, l’arche de Noë, d’une espèce intelligente (qui n’était dans mes jeux d’ailleurs pas humaine puisque j’avais remplacé les têtes – perdues par mégardes – par des briques). Tout comme ces paquebots qui sont construits de nos jours – paquebots de luxe offrant des croisières avec des prestations dont je n’aurais jamais les moyens de m’offrir – mon vaisseau spatiale était une véritable ville avec tous les lieux nécessaires à la fournitures des besoins, des activités, du divertissement, de la relaxation, de la culture… J’y imaginais un immense jardin ou parc dans l’enceinte même du vaisseau, un étage à part qui ne donnais pas vu sur l’espace, mais plafonné, illuminé par des lumières qui facilitaient la photosynthèse des végétations qui restaient quoiqu’il en soit des êtres biologiques naturelles – et non une représentation mimée ou falsifiée ne nécessitant pas d’entretien… si ce n’est la poussière. J’avais un peu l’idée du jardin intérieur des parents de Bulma dans le manga Dragon Ball, qui laissait libre dans cet espace, de nombreux animaux ; même des dinosaures ! Il y aurait aussi un hôpital avec ces différents services, un lieu de représentation théâtrale, de spectacle. Plusieurs pièces ? Je l’ignore. Je n’ai jamais réfléchis sur le nombre de personnes qui seraient en voyage dans ce vaisseau. Il y aurait aussi des salles de sports. La restauration serait uniquement collective. Peut-être avec un choix au menu, ou peut-être plusieurs restaurant ayant leurs propres spécialités ; encore une fois, sans une idée du nombre… Tout comme dans un paquebot, les voyageurs ne disposeraient que d’un lieu privée, un espace réduit à une chambre, avec salle de bain/toilette. Point. A disposition une commode avec des vêtements possédés par chacun-e, un matériel électronique individuel, un écran. Le reste c’est collectif. Si le parc-jardin n’avait aucune vue sur l’espace, j’imaginais les appartements privés comme ayant toujours une baie vitrée donnant pleine vue à l’extérieur. Pour moi ce ne pouvait être que désirable de voir l’univers et ses étoiles par la fenêtre. Pourquoi les cacher dans un espace bunkerisé ? D’ailleurs sur les bords extérieurs du vaisseau, ce serait beaucoup de long couloir que j’imaginais de couleur chaude – sol rouge et mur jaune (je n’y connais rien déco) – où se promener – comme les ponts d’un navire – et admirer l’univers à travers une longue baies vitrée s’étalant sur la longueur, tout comme on pourrait contempler la mer. Ce vaisseau n’était pourtant en rien un vaisseau de croisière. C’était un vaisseau de mission, ou – comme l’arche de Noë – de (sur)vie pour une espèce quittant sa planète. Les personnes ne sont pas là pour se tourner les pouces. Les enfants ont une école – collège – lycée – université, pour l’apprentissage. Et chaque adulte a une profession. Chacun et chacune travaille dans le vaisseau (l’hôpital a besoin de personnel soignant, les restaurants de cuisinier-e-s, etc.) Il existe une politique de natalité, de contrôle des naissances, afin de respecter un équilibre, dans le nombre d’individu (éviter un trop plein de naissance qui rendrait les ressources insuffisantes ou au contraire les motiver – y compris par la procréation artificielle). Un laboratoire embarquerait entre autre des tas d’échantillons de matériel génétique dans le but d’effectuer des générations – de plante ou d’animaux pour modifier la faune et la flore du parc – mais aussi humaine ; dans un voyage de temps indéterminé (et peut-être sans but désigné) impliquant des générations d’êtres humains, la diversité génétique en espace reclus peut finir par faire défaut et il serait donc nécessaire d’en réinjecter régulièrement. J’ai inventé une forme de communisme avant l’âge d’avoir une conscience politique. L’organisation de la vie et des besoins est au au maximum collective tout en respectant une intimité via l’attribution d’un espace ou de matériel privé et strictement égalitaire. Il aurait d’ailleurs été possible de croire qu’en l’absence de représentation politique ou de processus décissionnel collectif, j’eu également inventé l’autogestion ; le recul m’apprend qu’il n’en était rien et qu’il s’agissait plutôt d’une curieuse dictature mené par un commandant ou un conseil semi-militaire d’individus restreints, nullement élus et non-tournant. Si les activités de cette ville dans l’espace sont effectivement réduite à des aspects administratifs et fonctionnels, l’activité politique meurt ainsi que l’ont prédis Marx et Engels à travers l’exégèse de Lénine. Par contre, le vaisseau lui, va bien quelque part. Il a un équipage qui le pilote et forcément il y a un choix qui est fait quant à la route dessiné, au parcours à effectuer. Je n’ai jamais conçu que ces choix furent démocratiques. Je ne pouvais pas comprendre comment le processus de décision pouvait être pris. D’autant qu’il s’agissait en premier lieu là encore d’un choix fonctionnel ou opérationnel : la survie, les ressources, c’est très pratique et pragmatique. C’est une personne ou un groupe de personne qui en fonction de l’état des lieux et des nécessités établissent la destination de préférence et les missions qui en découlent pour alimenter la survie du vaisseau et de ses occupant-e-s. Le critère est finalement lié beaucoup à l’intelligence, à la sagesse. Il s’agit d’un pouvoir politique « éclairé ». Mais contrairement à une dictature ou à ce qu’on peut définir comme bureaucratie, cette ou ces personnes ne disposent pas plus de moyen que d’autres et sont tenus aux mêmes limitations égalitaires. Il n’y a pas de gain matériel. Il n’y a qu’une gratification symbolique. Cette arche technologique devait permettre non pas uniquement une survie, mais une vie à toutes celles et tous ceux qui y auraient pris place ; la technologie aurait été développé aux maximums dans l’esprit d’une autosufissance, d’un recyclage maximum de tout ce qui est consommé dans le vaisseau, voire d’une production ex-nihilo – à partir de rien ou presque rien ; un vaisseau qui aurait eu la capacité de faire vivre une population au-delà de la vie et de la mort des étoiles ou des galaxies, possiblement au délà de l’extinction même de l’univers.

    J’en suis quand même venu à me demander à ce que j’avais fait à ce peuple imaginaire, condamné dans une ville entourée de néant. À ce moment je me dis que la pire chose c’est d’avoir mis tant de fenêtres pour admirer l’univers. Maintenant elles ne leur serviraient plus qu’à admirer le rien qui entoure leur forteresse lumineuse, chaleureuse qui, de l’extérieur, resterait une lumière à peine visible dans un confin indéterminable de l’univers, une bougie éclairante dans un château en ruine, délabré, meurtris des cadavres pourrissants, offerte inutilement pour des yeux absents à l’admirer ou à s’y accrocher. Est-ce qu’ils ne se sentiraient finalement pas comme moi en ce moment dans cette cage d’escalier, ressentant avant tout le poid, la charge, d’un cercueil de béton, un bunker sauveur qui ne prête aucune tendresse ?


  3. Nuit de juin 2019

    Lundi 11 juin, j’étais en formation. Au retour du déjeuner, en off, le formateur évoque le drame de la veille discuté dans tous les médias : deux enfants renversés par un chauffard ayant pris la fuite après un banal contrôle de police. Un mort et un dans un état critique, pronostique vital engagé. Le drame "émeu" la France. Le chauffard est introuvable, bien que l’on sache déjà qui il est, qu’il a utilisé la voiture de sa mère, qu’il a fuit un contrôle de police par défaut d’avoir son permis, qu’il n’avait pas encore.

    "J’espère qu’il vont le choper ce salopard. Vous savez combien il risque ? 10 ans de prison pour ça ! 10 ans pour avoir foutu en l’air la vie de deux gamins. Pour moi il devrait être condamner à mort. Tout comme les pédophiles et meurtriers d’enfants."

    La conversation commence bien. La tête intellectuelle pensante qui mène la formation, chef d’entreprise d’une TPE, quasiment 60 ans et la retraite, des certificats à gogo lui octroyant une reconnaissance et une légitimité rare pour parler des technologies passées et à venir de Microsoft - confond déjà tous les cas de figure. Absence de discernement : on mets sur un même plan d’égalité des pervers, des sadiques meurtriers, des personnes jouissant dans la souffrance de l’enfant, et un crétin. Déjà condamné à mort n’est pas bien joli. C’est la manière étroite et théologique d’envisager la punition, en infligeant la sentence absolue, la fin de l’existence. C’est la justice transcendante, un jugement sur la vie, qui fait appel à une vision juché sur un mont cosmique, au delà des temps. Il mets l’individu en face de l’absolu, de son anéntissement. Ce n’est un traitement social, qui traite sur le réel de l’humain en collectivité. C’est la loi du talion. La barbarie. Et il y a des gens qui pensent comme ça et qui théorisent une guerre des civilisations ; ou qui, sans la nommer ainsi, sont porteurs de cette vision manichéennes, cherchent les ennemis intérieurs, attisent l’idée de communautarisme, promeuvent le progrès de leur vision pour justifier leurs xénophobie ; sans doute tout ceci pour masquer qu’ils sont tout aussi "évolué" que celles et ceux dont ils dénoncent les pratiques et les valeurs, tout en leur étant en réalité profondément semblable à ce qu’ils dénoncent, sous d’autres angles.

    Mais on retrouve cette même absence de discernement chez le crétin chauffard. Il existe pléthores de manières de se promener avec sa copine un beau dimanche mais il a choisis la voiture alors qu’il ne possède pas le permi de conduire. Il en avait conscience. Il s’était d’ailleurs déjà fait choper par la police pour conduite sans permi. Délibérément il a fait son choix. Et plutôt que d’accepter les règles du jeu, de parier qu’il ne se ferait pas prendre, au moment où la pièce est tombé du mauvais côté, il a décidé de renverser la table, non plus seulement de ne pas respecter les règles, de s’arroger des marges de manoeuvres non reconnus, mais de refuser la sanction de l’arbitre. Et dans l’adrénaline du film d’action dans lequel le chauffard et sa dulcinées’imaginaient jouer, il fut incapable de se rendre compte que la police avait décidé de jouer la sécurité et lâcher la poursuite plutôt que de motiver le récalcitrant à puiser toujours plus d’adrénaline dans une conduite de plus en plus énergique, improvisée et périlleuse pour lui comme pour l’ensemble des usagers de la route… et des trottoirs. Après une première voiture cognée, ce sont deux enfants qui sont fauchés. C’est tout ce qu’il est : un crétin. Un irresponsable. Irresponsable dans le sens où il n’assume pas la conséquence de ses choix. Le monde, le réel, doit se plier à son regard, à sa perspective. La sortie avec sa copine en bagnole était la chose la plus importante du monde et rien ne devait l’entraver !

    Une fois ces premières inepties déblatérés, de condamner le crétin, c’est le moment de débrayer sur une note plus légère. Et dans une pièce contenant 14 personnes, et dans l’informatique, des mâles partout, seulement deux filles, la tournure des échanges n’est jamais loin de tourner au concours de "qui à la plus grosse ?". Le concours qui s’ouvre est purement métaphorique. On ne comparera pas la troisième jambes de ces messieurs, ici on roule des mécaniques automobiles et on se vante des pointes qu’on a osé faire sur la route. Le formateur, un ch’ti, sort le premier son score à 220 sur une autoroute belge. Mais c’est l’informaticien du Conseil d’État qui remporte la palme : 240 km/h sur une autoroute de France. Non il n’accompagnait aucune personnalité politique pour se permettre cet excès. Les voilà donc s’extasiant de leurs infractions aux codes de la route, à la puissance déployée de leurs bolides, à des puissances où la frontière entre la stabilité et la perte de contrôle devient extrêmement mince. Les règles du code de la route servent à éviter de mettre en danger sa propre vie tout comme la vie d’autruie. Les vitesses ne sont pas bridés sur les routes pour faire chier les gens, mais pour adapter le style de conduite au contexte qui permettra à chacun.e de réagir avec un laps de temps de sécurité en cas d’imprévu. Rester en sécurité et sécuriser les autres usagers ; à entendre leurs récits, ils gardent de tendres souvenirs du renoncement à leurs responsabilités envers eux et leurs semblables, l’adrénaline de cette aventure. Cette même adrénaline habitant le chauffard de Lorient, cette nostalgie qu’il aurait pu tenir lui-même si il n’y avait pas eu ce drame. Drame que ces autres, dans cette pièce de formation, n’avait, au hasard, fortuitement, car impossible à prévoir, pas rencontré. C’est leur chance, pas un talent, pas un contrôle, pas une compétence particulière. Ils ont juste eu de la chance.

    Dans cette continuité pétré de similitude, les voilà maintenant abjurant leurs responsabilités. Vous comprenez, ce sont des mâles qui ne peuvent se contrôler si on leur mets de quoi leur provoquer des senstations fortes dans les mains. "Mais ausi ils n’ont qu’à pas faire des voitures aussi puissantes si ils ne veulent pas qu’on roule aussi vite." Voilà ! C’est la faute à la possibilité technique ! La voiture peut foncer, alors comment voulez vous que je résiste !? C’est tellement naturel. Attitudes infantiles, parallèles à celles qui se jouent sur le plan sexuel : parce qu’on juge qu’une fille s’habille sexy, qu’on se sent attiser de désir, c’est que forcément elle voulait coucher. Alors si elle voulait pas coucher mais que le mec l’a quand même chopé, c’est sa faute à elle ! Leurs perspectives est la même : c’est les autres, le monde, qui doit se plier à leurs perspectives et non eux assumant leur responsabilité sur la Terre. C’est cette même cohorte de testostéronés qui va définir les normes de ce qui définis leur identité collective de genre, qui affirmera des assertions péremptoire comme quoi "le mec qu’a pas couché à 20 ans il va pas bien dans sa tête. Il est taré", psychiatrisant les déviants à ces normes arbitraires, et que penser d’un tel être qui aurait passer les 30 ans en étant toujours puceau ? Il faut respecter cette moyenne de 16-17 ans. Il y a les plus précoces qui s’y prennent deux ou trois ans en avance, alors on peut juger que pour maintenir cette moyenne il ne faut pas exécéder le premier acte sexuel de l’âge de 20 ans. C’est la performance, l’initiative, la maturité, la précocité, tout cela constitue l’identité et la force collective mâle, une forme de pouvoir. Ce même pouvoir établis partout sur la terre dans le capitalisme, au sein même des démocraties. Ce sont les patrons qui démantèlent les lieux de travails, ferment les établissements, licencient les personnnels ; ce sont les élus et les exécutifs gouvernementaux qui sont les moins contrôlés, puisqu’ils décident d’eux-mêmes le type de contrôle auxquels ils seront soumis. Chaque jour ces dominants parlent de "valeur travail" en marginalisant et excluant de tout droit, toute vie sociale, celles et ceux dont la valeur du travail est la moins reconnus ; quand ils parlent de l’objectif de paix, c’est pour justifier une guerre ; quand ils démantèlent les droits sociaux c’est en prétendant les protéger ; quand ils ferment les usines, c’est pour protéger des emplois ; chaque fois, ils se présentent comme la seule voix démocratique, excluant le choix, imposant leur dictature, un système unique de pensée.


  4. Swann, une politique de l'auto-émancipation

    11, c'est le nombre de jour écoulé depuis que Monsieur Swann a soufflé sa deuxième bougie. 11 jours c'est aussi la durée d'une lutte d'interpellation de la bureaucratie parentale qui s'est vu contrainte d'accompagner la croissance de leur enfant. Rencontre.

    La rebellions a commencé lorsque Swann atteint ses deux ans. L'objet de la fronde ? Le refus du lit à barreau. Monsieur Swann fit monter la pression rapidement en réussissant une série d'évasion, systématiquement réussites ; organisant l'occupation du lit de son frère et perturbant la marche normale du sommeil familiale et obligeant in fine ses parents à entendre ses revendications.

    Interrogé sur ses motivations, Monsieur Swann nous confia vouloir avant tout "extraire définitivement l'enfance des pratiques et dispositifs pensées pour les prisons". Il nous explique une exception culturelle, cette tolérance française pour les sanctions physiques sur les enfants, tandis que - tout comme dans l'ensemble des pays démocratique - elles sont interdites pour les détenus. Même si le gouvernement Hollande a introduit une interdiction formelle, sans sanction pour les parents contrevenants. Puis de revenir sur sa révolte contre les barreaux de son lit : "l'éclatant signe du refus de la reconnaissance de l'égalité civique des enfants" "Les barreaux, c'est la prison. La prison, les détenus, la privation, la culpabilité. L'amalgame est stigmatisant". Monsieur Swann dit lutter pour les enfants du monde entier : "si la liberté, l'égalité, la fin de l'oppression et de l'exploitation des hommes et femmes ne sera vraiment possible que sous le communisme, à l'inverse il n'y aura pas vraiment de communisme sans l'accession des enfants à ces mêmes promesses émancipatrices."

    Quand on l'interroge sur ses inspirations et ses modèles, les yeux de Monsieur Swann se mette à briller tandis que sa bouche répond ce simple prénom "Jordi", chanteur star du début des années 90's avec plusieurs singles et albums en tête des ventes. Pour Swann c'est le premier d'entre eux s'être levé et à avoir scandé au monde "C'est dur dur d'être bébé" et de faire la lumière sur la condition enfantine.

    Questionné sur un possible sentiment de filiation entre sa révolte et celle de la jeunesse de 1968 dont nous sommes séparé aujourd'hui par 50 années tout rond, Monsieur Swann maintient une distance critique : "Ils disaient << l'imagination au pouvoir >> ; ils n'ont pourtant pas construit de pouvoir imaginatif pour remplacer les politiciens bourgeois. Ils ont par contre eu l'imagination pour se dévergonder - la seule chose que l'histoire a encore retenu comme influence durable dans la société." Après ces paroles tranchantes, Swann nuance et objective son analyse : "c'est hormonal, un travers de leur âge." Et de poser une perspective sans équivoque : seuls les jeunes enfants peuvent réaliser le mot d'ordre de "l'imagination au pouvoir" car leur imagination est sans borne, sans biais et sans obsession.


  5. Subjugué

    L’affichage à mon écran d’ordinateur du physique de mon meilleur ami d’enfance me surpris. Il me montrait sa photo le représentant actuellement alors que cela faisait des années, le tout début de notre adolescence, que nous ne nous étions revus. Sa croissance continué au Sud du continent, à la chaleur et à proximité de l’Océan, l’avait métamorphosé. Je le reconnaissais toujours à son expression du visage, ses yeux noisettes regardaient fixement l’objectif avec la volonté rectiligne dont il avait toujours fait preuve et sa bouche se tenait encore entrouverte comme c’était le cas à l’époque, une coupe de cheveux modernisé, un peu plus court et gellifié pour les faire pointer en l’air, avait rompu avec son portrait enfant sage de mèches coiffés sur le coté, bien plus jeune. Le garçon que je voyais n’avait cependant plus rien de celui que j’avais connu, son embompoint, objet de sarcasme et moquerie avait totalement disparu, sa carrure de nounours à laquelle mes bras peinait à faire le tour avait disparu. Il arborait dorénavant un corps musclé ; on devinait sous son tee-shirt moulant l’esquisse d’un damier abdominal, régulier et symétrique - prenant la place du ventre doux et lisse que j’avais connu autrefois - mais qui ne tombait pour autant pas dans la rigidité rugueuse et géométrique d’un athlète bodybuildé. Le soleil du Sud avait fait fondre sa carrure, mais par un procédé physico-alchimique ingénieux il avait renversé la chimie culinaire classique - là où toutes les recettes de grand-mères vous demandent de faire fondre des tablettes de chocolat en préparation d’une mousse, lui avait réussis l’opération inverse, une opération impossible : transformer son abdomen mousse en tablette de chocolat. Je comprenais maintenant comment ce garçon et ce physique ingrat autrefois moqué avait eu autant de succès avec les filles qu’il le prétendait ; et maintenant c’est moi qui fondait : "Ce que t’es beau!"

    J’étais cependant loin du compte avec une photo dont l’angle était quelque peu trompeur car quand je le revis de chair et d’os je n’avais pas pensé qu’avec son affinement sa stature eu aussi changé. Il était grand. Terriblement grand. Il était devenu tellement autre chose, tellement homme, tellement respectable, impressionnant, saisissant et séduisant. Il avait toujours été plus grand que moi, mais peu avant son déménagement, ma croissance s’était accélérée au point d’entamer un rattrapage assez rapide de sa taille. Lui-même s’était toujours tenu, conscient de sa taille supérieur, de façon très proche de moi, protecteur. Ma brusque montée en centimètre ne lui fit jamais changé cette proximité qu’il maintint et à laquelle c’est moi qui fit les efforts pour m’adapter ; car si ma croissance eu été faite en quelques minutes, ce sont nos nez qui seraient venus se frotter l’un à l’autre, provoquant ainsi involontairement un baiser esquimaux entre nous. Sa posture, sa proximité, avait été le sujet de nombreuses remarques et collibets dans nos jeunes années; nous semblions trop proches ; anormalement trop proches ; mais de nous deux c’est lui qui concentrait le plus l’attention - il avait des manières un peu exaspérantes pour nos ancien-ne-s camarades ; il passait pour quelqu’un d’orgueilleux et prétentieux, un peu condescendant dans sa manière de pratiquer ce fameux métier d’élève qu’il incarnait en s’appropriant à la perfection tous les codes et les attentes de l’institution scolaire. Il semblait qu’en d’autres contrés, ses camarades eurent un avis tout à fait différent vis à vis de ces attitudes qui sont passés de défauts à qualités ; la réussite scolaire et donc le suivis d’une éthique scrupuleusement conforme aux attentes devenaient gages de réussites sociales, de stabilités financières et professionnelles : son orgueil était devenu une échelle d’exigence et sa prétention une ambition ; tout cela concourrait à le rendre désirable par l’avenir qu’il était promis à partager avec l’élue de son coeur ; tandis qu’ici le comportement des élèves correspondaient à une adaptation de différentes techniques et stratégies leur permettant tantôt de respecter et correspondre aux objectifs données, tantôt de les subvertir ; a peu de choses prêts il aurait pu passer pour un fayot si le fayotage n’avait des exigences autrement supérieur desquels il se désintéressait partiellement. Mais il cherchait sans cesse à se faire voir et à se faire valoir - au point d’user de faire-valoir ? Il pourrait y avoir eu ce rapport de lui à moi ; je n’incarnais pas le même type d’élève que lui, sans être cancrelard ou médiocre, je jouais plutôt le rythme d’une régularité sans turbulence et sans distraction qui me rendait respectablement fréquentable sans menacer d’attenter à son terrain ; inversement j’aurais pu passer pour sa groupie - aussi chercha-t-il systématiquement à se présenter en tant que délégué de classe, projet où il ne cessa jamais de recevoir mon indéfectible soutien.

    Au dire des ragots de l’époque, cette proximité qu’il entrenait avec moi, la permanence de notre présence l’un à l’autre, laissait entendre que - du moins lui - éprouvait une attractivité singulière à mon encontre, ce qui le catégorisait comme homosexuel auprès de nombreux et nombreuses camarades collégiennes. En fonction des interprétations, on relevait derrière ma passivité soit une forme d’ignorante innoncence, soit un rapport moins (re)marqué mais réciproque - auquel cas j’étais son petit copain. Mes camarades de l’époque seraient surpris-es de devoir renverser les histoires générées par leur imagination débordante : mon ami était devenu un tombeur de premier ordre chez la gente féminine et maintenant c’est moi qui succombais à lui aussi. Bien que ma tête était tourné vers le haut pour m’adresser à son visage, je constatais que je pouvais dorénavant faire le tour de son corps avec mes bras, tandis que lui-même pouvais continuer à m’envelopper entièrement. je souhaitais juste me perdre dans les siens ; et tandis que nous nous rapprochions je remarquais combien son visage, à ma satisfaction, mainquait de pilosité ; je pouvais lui déposer des baiser sans cette sensation piquante et rèche de la barbe. J’étais charmé.


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