Nuit de juin 2019

dim. 07 juillet 2019

Lundi 11 juin, j’étais en formation. Au retour du déjeuner, en off, le formateur évoque le drame de la veille discuté dans tous les médias : deux enfants renversés par un chauffard ayant pris la fuite après un banal contrôle de police. Un mort et un dans un état critique, pronostique vital engagé. Le drame "émeu" la France. Le chauffard est introuvable, bien que l’on sache déjà qui il est, qu’il a utilisé la voiture de sa mère, qu’il a fuit un contrôle de police par défaut d’avoir son permis, qu’il n’avait pas encore.

"J’espère qu’il vont le choper ce salopard. Vous savez combien il risque ? 10 ans de prison pour ça ! 10 ans pour avoir foutu en l’air la vie de deux gamins. Pour moi il devrait être condamner à mort. Tout comme les pédophiles et meurtriers d’enfants."

La conversation commence bien. La tête intellectuelle pensante qui mène la formation, chef d’entreprise d’une TPE, quasiment 60 ans et la retraite, des certificats à gogo lui octroyant une reconnaissance et une légitimité rare pour parler des technologies passées et à venir de Microsoft - confond déjà tous les cas de figure. Absence de discernement : on mets sur un même plan d’égalité des pervers, des sadiques meurtriers, des personnes jouissant dans la souffrance de l’enfant, et un crétin. Déjà condamné à mort n’est pas bien joli. C’est la manière étroite et théologique d’envisager la punition, en infligeant la sentence absolue, la fin de l’existence. C’est la justice transcendante, un jugement sur la vie, qui fait appel à une vision juché sur un mont cosmique, au delà des temps. Il mets l’individu en face de l’absolu, de son anéntissement. Ce n’est un traitement social, qui traite sur le réel de l’humain en collectivité. C’est la loi du talion. La barbarie. Et il y a des gens qui pensent comme ça et qui théorisent une guerre des civilisations ; ou qui, sans la nommer ainsi, sont porteurs de cette vision manichéennes, cherchent les ennemis intérieurs, attisent l’idée de communautarisme, promeuvent le progrès de leur vision pour justifier leurs xénophobie ; sans doute tout ceci pour masquer qu’ils sont tout aussi "évolué" que celles et ceux dont ils dénoncent les pratiques et les valeurs, tout en leur étant en réalité profondément semblable à ce qu’ils dénoncent, sous d’autres angles.

Mais on retrouve cette même absence de discernement chez le crétin chauffard. Il existe pléthores de manières de se promener avec sa copine un beau dimanche mais il a choisis la voiture alors qu’il ne possède pas le permi de conduire. Il en avait conscience. Il s’était d’ailleurs déjà fait choper par la police pour conduite sans permi. Délibérément il a fait son choix. Et plutôt que d’accepter les règles du jeu, de parier qu’il ne se ferait pas prendre, au moment où la pièce est tombé du mauvais côté, il a décidé de renverser la table, non plus seulement de ne pas respecter les règles, de s’arroger des marges de manoeuvres non reconnus, mais de refuser la sanction de l’arbitre. Et dans l’adrénaline du film d’action dans lequel le chauffard et sa dulcinées’imaginaient jouer, il fut incapable de se rendre compte que la police avait décidé de jouer la sécurité et lâcher la poursuite plutôt que de motiver le récalcitrant à puiser toujours plus d’adrénaline dans une conduite de plus en plus énergique, improvisée et périlleuse pour lui comme pour l’ensemble des usagers de la route… et des trottoirs. Après une première voiture cognée, ce sont deux enfants qui sont fauchés. C’est tout ce qu’il est : un crétin. Un irresponsable. Irresponsable dans le sens où il n’assume pas la conséquence de ses choix. Le monde, le réel, doit se plier à son regard, à sa perspective. La sortie avec sa copine en bagnole était la chose la plus importante du monde et rien ne devait l’entraver !

Une fois ces premières inepties déblatérés, de condamner le crétin, c’est le moment de débrayer sur une note plus légère. Et dans une pièce contenant 14 personnes, et dans l’informatique, des mâles partout, seulement deux filles, la tournure des échanges n’est jamais loin de tourner au concours de "qui à la plus grosse ?". Le concours qui s’ouvre est purement métaphorique. On ne comparera pas la troisième jambes de ces messieurs, ici on roule des mécaniques automobiles et on se vante des pointes qu’on a osé faire sur la route. Le formateur, un ch’ti, sort le premier son score à 220 sur une autoroute belge. Mais c’est l’informaticien du Conseil d’État qui remporte la palme : 240 km/h sur une autoroute de France. Non il n’accompagnait aucune personnalité politique pour se permettre cet excès. Les voilà donc s’extasiant de leurs infractions aux codes de la route, à la puissance déployée de leurs bolides, à des puissances où la frontière entre la stabilité et la perte de contrôle devient extrêmement mince. Les règles du code de la route servent à éviter de mettre en danger sa propre vie tout comme la vie d’autruie. Les vitesses ne sont pas bridés sur les routes pour faire chier les gens, mais pour adapter le style de conduite au contexte qui permettra à chacun.e de réagir avec un laps de temps de sécurité en cas d’imprévu. Rester en sécurité et sécuriser les autres usagers ; à entendre leurs récits, ils gardent de tendres souvenirs du renoncement à leurs responsabilités envers eux et leurs semblables, l’adrénaline de cette aventure. Cette même adrénaline habitant le chauffard de Lorient, cette nostalgie qu’il aurait pu tenir lui-même si il n’y avait pas eu ce drame. Drame que ces autres, dans cette pièce de formation, n’avait, au hasard, fortuitement, car impossible à prévoir, pas rencontré. C’est leur chance, pas un talent, pas un contrôle, pas une compétence particulière. Ils ont juste eu de la chance.

Dans cette continuité pétré de similitude, les voilà maintenant abjurant leurs responsabilités. Vous comprenez, ce sont des mâles qui ne peuvent se contrôler si on leur mets de quoi leur provoquer des senstations fortes dans les mains. "Mais ausi ils n’ont qu’à pas faire des voitures aussi puissantes si ils ne veulent pas qu’on roule aussi vite." Voilà ! C’est la faute à la possibilité technique ! La voiture peut foncer, alors comment voulez vous que je résiste !? C’est tellement naturel. Attitudes infantiles, parallèles à celles qui se jouent sur le plan sexuel : parce qu’on juge qu’une fille s’habille sexy, qu’on se sent attiser de désir, c’est que forcément elle voulait coucher. Alors si elle voulait pas coucher mais que le mec l’a quand même chopé, c’est sa faute à elle ! Leurs perspectives est la même : c’est les autres, le monde, qui doit se plier à leurs perspectives et non eux assumant leur responsabilité sur la Terre. C’est cette même cohorte de testostéronés qui va définir les normes de ce qui définis leur identité collective de genre, qui affirmera des assertions péremptoire comme quoi "le mec qu’a pas couché à 20 ans il va pas bien dans sa tête. Il est taré", psychiatrisant les déviants à ces normes arbitraires, et que penser d’un tel être qui aurait passer les 30 ans en étant toujours puceau ? Il faut respecter cette moyenne de 16-17 ans. Il y a les plus précoces qui s’y prennent deux ou trois ans en avance, alors on peut juger que pour maintenir cette moyenne il ne faut pas exécéder le premier acte sexuel de l’âge de 20 ans. C’est la performance, l’initiative, la maturité, la précocité, tout cela constitue l’identité et la force collective mâle, une forme de pouvoir. Ce même pouvoir établis partout sur la terre dans le capitalisme, au sein même des démocraties. Ce sont les patrons qui démantèlent les lieux de travails, ferment les établissements, licencient les personnnels ; ce sont les élus et les exécutifs gouvernementaux qui sont les moins contrôlés, puisqu’ils décident d’eux-mêmes le type de contrôle auxquels ils seront soumis. Chaque jour ces dominants parlent de "valeur travail" en marginalisant et excluant de tout droit, toute vie sociale, celles et ceux dont la valeur du travail est la moins reconnus ; quand ils parlent de l’objectif de paix, c’est pour justifier une guerre ; quand ils démantèlent les droits sociaux c’est en prétendant les protéger ; quand ils ferment les usines, c’est pour protéger des emplois ; chaque fois, ils se présentent comme la seule voix démocratique, excluant le choix, imposant leur dictature, un système unique de pensée.