Le Relai (récit d'un acte absurde)

Le sam. 05 janvier 2013

Aujourd'hui, je prenais le RER principal pour aller faire la fête chez des ami-e-s. Alors que j'écoutais dans mes écouteurs une musique qui ne correspond pas à mon origine sociale (bénit soit elle) je sentis au fil du temps mon derrière se chauffer. Non pas une quelconque créature qui viendrait investir le désir de mon corps ; mais alors que la saison est au froid et qu'il faut s'habiller en conséquence, le siège retenait anormalement la chaleur de mon postérieur alors que la RATP à autre chose à faire qu'à investir dans des équipements commode pour ses usagers. Je vis alors que j'étais assis-e sur une pochette noire, épaisse, dure. Quelqu'un l'avait oublié là. Impossible de savoir à quelle heure, depuis combien de temps, elle traînait là. Le RER était au trois quart vide quand je suis entré-e et je n'avais vu personne à cette place là avant que je me l'approprie. Curieux-se j'investigue la pochette et jette un œil sur les papiers médicaux qu'il contenait. Un dossier dans la pochette nommé « radiographie », une ordonnance médicale, un résultat de test sanguin... Le dossier est peut-être important.

J'ai tourné les yeux au Ciel et j'ai annoncé au « Seigneur, je ne vous décevrai pas devant cette Mission personnelle que vous me confiez ».

Quand je suis rentré-e chez moi après la soirée de beuverie de laquelle j'ai suis revenu-e sobre, j'ai parlé de la Mission à mon père Lepeniste. Quelle idée ! Dès qu'il a vu le Nom de la personne à consonance arabe, le voilà parti dans une diatribe xénophobe.

  • Franchement ces arabes, ils veulent qu'on fasse tout pour eux ! Ils viennent en France ; ils profitent des avantages sociaux ; tout cet argent que l'État leur laisse profiter à loisir et qui proviennent de mes impôts ! Et après il faudrait qu'on leur ramène leur dossier médicaux !? Et puis quoi encore ? Tu vas leur faire le taxi pour qu'elle aille se faire épiler ? Franchement, laisse tomber. Ils ne valent pas la peine. Ils ne sont pas comme nous. Pas aussi responsable. Pas aussi abrutis. La preuve : qui aurait oublié un dossier aussi important dans les transports publics ? Hein ? Dis !?

Mais mon père non saint d'esprit n'entravera aucunement ma volonté. Je trouvai la trace de la dame via google, non dans les pages immaculés – mais bien dans des référentiels d'entreprises. Bien qu'ayant à peine la trentaine, la dame avait une place suffisamment importante dans les boites qu'elle avait occupé pour que son numéro de téléphone traîne sur internet et s'occuper ainsi de relations clients.

J'eus une autre discussion avec ma mère :

  • Mais pourquoi veux-tu te donner tant de mal pour quelqu'un que tu ne connais pas ? Cette personne est responsable de la perte de ses papiers, qui ont une importance non des moindres ; elle ne doit pas être très sérieuse cette dame là. Laisse là porter le fardeau de son irresponsabilité et ne perd pas ton temps dans un acte absurde qui ne t'apportera rien.

  • Comment peux-tu conclure que ça ne m'apportera rien ?

  • Mais enfin ! Tu vas la contacter, lui rendre, et après ? Tu vas revenir comme tu aurais du revenir ce matin de ta soirée si cette dame avait été responsable : sans rien ! Ce n'est pas rationnel comme décision que tu prends. Tu vas te faire exploiter par ta gentillesse, ta naïveté. Il faut arrêter de croire à cet altruisme infantile et infantilisant. Ça c'est bon pour les histoires pour enfant. C'est d'ailleurs une erreur de leur apprendre de telle sornette. Il faut les préparer à la cruauté du monde.

  • Plutôt que de leur apprendre que si chacun d'eux agissaient de manière altruiste il se passerait autre chose ?

  • Mais enfin ! Qui vois-tu agir de manière altruiste ???

  • Je pensais que tu me reprochais d'agir ainsi !

J'y suis allé. J'ai appelé cette dame et lui ai donné rendez-vous près de chez elle, à un centre commercial. J'ai pris mon ruban rouge de révolutionnaire que j'ai attaché à mon sac à dos. C'est avec ceci qu'elle m'a reconnu. Elle a été d'ailleurs reconnaissante à mon égard. Verbalement dans un premier temps. Insistant sur le caractère rare d'un tel acte. Mon acte absurde comme dirait ma mère. Elle a bien voulu m'offrir un café. Mais j'ai refusé (elle n'a pas vu que j'étais trop jeune!). Je lui ai dit : « maintenant, c'est à vous de vous engager de faire un acte absurde, un acte de don, un acte de service, envers un ou une inconnue, de le faire sans préjugé et sans jugement ».

Par Le Scribouilleur, Catégorie : Récits

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