V...

jeu. 22 mai 2014

Je retrouvai une fois de plus cette situation déplaisante de solitude face au collectif. J’avais réussis à esquiver les exposés durant toute ma scolarité lycéenne. Ce qui n’avait aucune conséquence pratique. L’important c’est le baccalauréat à la fin. Être prêt pour la semaine d’épreuve intense. Tout ce qu’il se passe avant n’est là que pour se rassurer. Et rassurer parents et enseignants. J’étais de toute façon invisible à cette époque. Les profs ne devaient se rendre compte de mon existence qu’au moment du calcul des moyennes de fin de trimestre, pour se rendre compte qu’il me manquait une note par rapport aux autres élèves de la classe. Les autres élèves ne me voyaient pas de toute façon non plus. Si je ne passais pas en exposé, c’est parce que je ne dénonçais jamais ma situation de solitude, donnant une preuve de mon existence. Chacun et chacune étaient rangé-e-s dans des groupes, des duos. Et moi j’étais celui qui n’avait pas de lien avec autrui.

En deux ans. J’ai fait des progrès. Mais M. P. nous demande de nous mettre par deux. J’ai en principe quelques relations amicales, quoique limitées. Les deux amies avec qui je traine le plus se mette ensemble. Je jette un regard ailleurs, vers d’autres amicaux pour memontrer disponible. Mais un à un je me rends compte en fait qu’ils se lient avec leur personne préféré. Évidemment, si moi j’ai mes préférences, je ne suis le préféré de personne. Et malgré que se dessine ma besogne d’étudiant en solitaire, aucun-e ne cherche à au moins s’associer avec quelqu’un d’amical pour au moins me laisser faire duo avec l’autre. Les exposés sont toujours des moments de grand copinage. Si je n’étais pas intégré au lycée, provocant ma désintégration complète même aux yeux du professeur ; malgré mes relations actuels de fac, mon intégration demeure insuffisante et le tranchant désintégrateur agit avec la même vigueur.

Mr. P. cherche à dynamiser la classe. La brochure de textes à se répartir entre chacun-e pour présenter un exposé dessus est distribué et un calendrier sur la page 2 avec la date de présentation des textes en fonction de l’avancé prévu du programme de cours magistral est là pour motiver les camarades de classe à faire leur choix rapidement. Le premier critère de ces jeunes, c’est la date : ne surtout pas prendre les premiers textes. Ni la semaine prochaine, ni celle d’après, ni encore celle d’après. L’étudiant-e est un être qui aime prendre son temps. Pour ne pas dire carrément qu’il procrastine. Et prévoir une date lointaine pour présenter son texte, c’est assumer sa procrastination.

La bataille s’engage une fois les premiers duos constitués. On évite de passer trop tôt, mais également trop tard. Être les derniers c’est être comparé à tous les autres. Et faire un truc pas terrible après tout le monde, c’est allé à la catastrope de notation. Là est mon problème : je peux me faire oublier comme je l’entends, mais sans note je risque l’ajournement. La différence avec le lycée, c’est qu’à la fac toute les notes comptes pour la validation des semestres, des années et du diplôme.

Les « meilleurs » textes selon les critères étudiants (outre le calendrier qu’il faut aborder avec soupplesse, nous citerons également la taille des textes et l’apparence de leur complexité) sont déjà distribués. Et les duos restants hésitent. Il me faut dorénavant assumer que je suis seul et m’extirper de cette situation inconfortable, quitte à être voyant d’abord pour mieux me faire oublier ensuite. Je suis paradoxalement pris d’un élan de sacrifice et volontaire pour prendre l’un des deux textes qui devront être présenté dès la semaine prochaine. Enlevant ainsi un poids à un duos qui se verra octroyer ne serait-ce qu’une semaine supplémentaire pour procrastiner un peu. J’ai repérer mon préféré parmis le choix étroit. Un texte de deux sociologues dont intuitivement j’apprécie le travail et leur point de vue critique sur la société ; malgré le titre du texte qui est un obscur charibia emplit de mots trop longs.

Laborieusement, les derniers duos se partagent les derniers textes. L’un de ceux là suit mon « courage » ainsi que l’a notifié le prof. Et préfère finalement s’en débarrasser judicieusement dans l’immédiat, plutôt que d’attendre le milieu ou fin de semestre où nous aurons accumulés exposés et dossiers à rendre et préparation de partiel à la fin.

Me voilà donc lancé dans une séquence de préparation d’un exposé sur 6 jours… pardon, 3. Cette deuxième semaine de semestre est chargée de journées longues, nous n’étions que le lundi en fin de journée. J’attends le jeudi pour commencer à travailler dessus. J’ai avec moi une panique stimulante. Je vais passer en exposé incessamment sous peu, et je n’ai pas d’épaule sur laquelle me décharger. Ce travail ne peut être que le mien, et il sera assumé uniquement par moi. Assumé par moi dans son élaboration comme dans sa présentation. Il n’y a pas d’échappatoire. Et il s’agit là de ne pas se montrer ridicule. Mais peut-être également de faire une démonstration. Les critiques du prof seront publiques, devant les camarades. Le moment d’être un peu admiré. De montrer des qualités, pas forcément physiques, théatrâles ou oratoire, mais du moins intellectuelles. Que je montre que j’ai quelque chose dans la tête. Qu’on me reconnaisse une qualité qui n’est pas visible au premier abord. Que je sois discret, timide et mal à l’aise en toute circonstance. Tout le monde le sait et je ne peux les en faire douter. Ou encore pousser la logique de ma particularité d’avoir été courageux, à user de ce « réflexe » de sacrifice en prenant un texte de la première semaine jusqu’au bout, en jouant la carte de « celui qui ose » ne pas faire ou être l’étudiant ordinaire. Après avoir largué la procrastination, je vais tenter de faire mon exposé le plus librement possible. Sans lecture, ni appuie de texte. Ni même récitation automatique ou par cœur. Non. Avec ma maîtrise intellectuelle complète du sujet.

Je lis pas moins de 3 fois le texte pour m’en imprégner, comprendre l’esprit et les quelques subtilités qui ne devront pas m’échapper. 3H pour cette première tâche. Je me pose des questions sur l’évolution idéologique de mes auteurs. Eux qui me semblaient si critique, les voilà en train d’analyser les facteurs d’embauches d’un recruteur. Ca ne parle même pas de sociologie holistique, c’est un texte axé sur la compréhension individuelle et les stratégies de choix. Le néo-libéralisme qui a sévis au milieu de leur vie me met un doute sur leur propre bifurcation idéologico-politique comparée à leur premier travaux antérieurs aux années 80. Vendredi est un jour plus tranquille avec une demi-journée de tranquilité à la maison. Je prends cette demi-journée pour commencer à mettre en ordre mes idées, élaborer une problématique, définir un plan. 3H sont de nouveaux consacré à cette tâche. Le samedi est consacré à la rédaction et à l’apprentissage de mon exposé. Tout doit être exact au cordeau. Car mon texte est long, mais le prof est exigeant, tant du point de vue du contenu, que du niveau, de l’expression, de la synthèse, mais aussi du temps. Car l’exposé est une démonstration d’une compréhension ratatinée côté quantité mais qui doit être qualitativement très bonne. En effet, il s’agit de faire un speech de 10 minutes et de lui rendre la version papier qui équivaudrait à 3 pages typographiées. Passé rien que 3 heures, une heure par page, c’est effectivement être rigoureux. Surtout que plan, idée et intro/conclu étaient prêt dès la veille.

Ce lundi, mon heure approche. C’est évidemment le dernier TD de la journée. Nous sommes en hiver. Il fait déjà presque nuit et le temps est moche. Je suis le deuxième et dernier texte à passer de la journée. Le premier est critiqué à la fin. La forme d’abord avec une lecture linéaire et monotone de l’exposé rédigé. Le prof insiste sur l’exercice qui doit nous permettre d’apprendre à parler à un public. L’exigence est d’autant plus justifiée que c’est une licence de sciences de l’éducation et sciences sociales où les étudiant-e-s ont en très grande majorité pour projet de devenir professeur des écoles.

C’est mon tour. Je suis tout tendu et mon ventre fait des siennes. Je me mets face à tout le monde. Le prof est en fond de salle. L’éclairage un peu loupé de la salle a tendance à le pousser dans une zone sombre. J’ai enlevé mes lunettes pour ne pas me laisser distraire, déconcerté ou déconcentré par les expressions de visages de mes camarades qui pourraient me trouver ridicule et, sans rire aux éclats, adopter des expression faciales, même involontaire, suffisamment éloquantes.

J’engage mon exposé en « freestyle », sans appuie de mon texte rédigé qui reste dans ma main elle-même située dans mon dos avec la seconde. Tout se passe bien, malgré une voix tremblotante, je ne semble pas avoir perdu mon auditoire qui reste dans un silence respectueux de monument aux morts. Puis vient les premiers bafouillement. Une maladresse. Un lapsus. Voilà quelques rires qui s’échappent et je perds momentanément mes moyens, m’obligeant à reprendre mon texte papier pour m’appuyer dessus. La lecture est infâme, trop rapide et monotone. Malgré avoir enlevé mes lunettes, je n’ai pas la vue suffisamment abîmée pour ne pas voir mes camarades du premier rangs. Et parmis eux, une de mes amies dont je suis secrétement amoureux. En fait qui était très bien au courant de mes sentiments pour elle pour les lui avoir confier 6 mois plutôt. Ce n’était évidemment pas réciproque. C’était aussi celle qui s’était mise avec l’autre amie, en duo, pour cette séquence d’exposé, me laissant choir. J’étais assez content qu’elle assiste à ça. Le petit garçon timide était en train de se montrer courageux. « Je ne suis pas aussi faiblard que tu le penses » aurais-je voulu lui dire. J’essaie de reprendre mon exposé sans support après m’être avoir baissé mon degré de panique intérieur. Cette alternance a dû paraître comme un contraste énorme entre deux instants. Plutôt que de varié dans des nuances de gris clair vers le gris foncé, j’étais passé subitement du gris clair au noir quasi-complet.

Je fini. Ouf ! Je n’ai pas fait exactement les dix minutes. Mais j’ai sauté une idée en première partie et ma lecture s’est avéré extrêmement rapide. Le prof note cet effort, rare dans notre classe et chez les étudiant-e-s de cette licence en général, d’avoir parlé sans lire le texte. Même si le fait de m’être quelques instant appuyé dessus a permis aux camarades (me voilà pris en exemple) de comprendre la différence fondamentale entre ces deux manières de faire, de la façon quasiment la plus caricaturale possible. « Ca, c’est le meilleur exposé que j’ai entendu depuis bien longtemps » me dit ainsi le prof. « Votre camarade a parfaitement exposé son sujet, je n’aurai pas fait mieux. ». Je suis aux anges. Ce prof n’est pas n’importe qui et il est connu pour ses critères exigeant, mais assez explicites, clairs et certainement assez justes d’ailleurs. Il ne donnait pas les notes devant tout le monde. Pour lui c’était une affaire privée. Mais ces louanges disaient déjà tout. Je n’ai pas besoin d’avoir ma note. J’ai ma démonstration. Combien de personnes entendent-elles ça à l’université ? Voilà mes camarades bien mal positionné-e-s dorénavant. Le premier jour d’exposé, et l’un des étudiants a déjà fait la démonstration du niveau à atteindre. Ca peut être soit une bonne boussole, soit également la pelle qui creuse le trou de chacun-e. Le trou est de toute façon déjà en partie creusé pour eux et elles. En me laissant de coté, ils se sont privés de mes talents. Soit. Ils en assumeront les conséquences, s’en mordront les doigts. D’autant que j’étais seul. Et tou-te-s autant qu’ils sont, Ce sont des duos, avec deux cerveaux, quatre mains pour écrire et deux bouches pour exposer. J’ai été le vainqueur d’un jour. Un jour où je les ai tou-te-s vaincu-e-s pour les semaines qui allaient suivre.

D’autant qu’une grève éclatera dans la fac par la suite, m’entrainant irrésistiblement dans le mouvement, implication d’autant plus difficile à ignorer pour mes camarades que je me ferais le relais d’information via e-mail. Et malgré leurs absences durant ce « printemps des université », ils n’auront même pas su se préparer pour les partiels de fin de semestre, où une fois de plus je me ferai remarquer. Au milieu de ce partiel de 2h, traitant de ce même cours, une heure à peine écoulée. Je me suis levé subitement. Un peu sonore. J’ai marché entre les tables, droits et déterminés, remettre ma copie aux surveillant-e-s et émargé. Quittant la salle alors que tout le monde grattait encore durement. Le second à sortir – mon homonyme – me traitant comme « son héros », d’avoir bouclé le partiel si rapidement. Même pas sabordé ou copie blanche. J’ai fini avec un 15/20. Et ma place assurée pour entrer en L3. Moi et seulement 39 autres personnes. Pendant qu’une centaine devait prendre le chemin des rattrapages.